Les archétypes de l'enfant : le Héros

Abordons ici le dernier volet de la psychologie du garçon : Le Héros.
Ce quatrième et ultime archétype du garçon, marque la dernière étape avant l’initiation et le passage à la maturité de l’adulte.

Le Héros

Un héros ? Je suis sûr que vous imaginez savoir ce qu’est un héros, car ils pullulent dans notre société de l’image. D’ailleurs qui ne voudrait pas en devenir un ?

Et pourtant que de confusion avec cet archétype !

Quatrième et dernier archétype du garçon, le héros est la dernière étape de développement avant d’atteindre la psychologie de l’homme mature. C’est l’énergie qui caractérise le dernier stade « adolescent » du développement de l’homme, la forme la plus avancée des énergies masculines immatures. 

Par le manque d’initiations masculines, de nombreux hommes sont encore bloqués dans cette énergie adolescente et immature, créant ainsi un amalgame négatif avec le masculin de manière globale.

Le héros est animé par une seule intention, une aspiration métaphysique, quasi religieuse, de dépasser la condition humaine, de se dépasser soi-même, de se transcender, afin de rentrer dans le monde des hommes. Dans cette énergie, l’adolescent recherche le Père divin en allant se confronter aux pères humains, et va vouloir flirter avec le Thanatos, cette pulsion de mort qui habite chaque être humain.
Sa quête est une recherche inconsciente d’épreuve, afin d’être initié pour passer enfin de la psychologie du garçon à celle de l’homme adulte, sensible et conscient de sa vulnérabilité.

Le téméraire

Le héros qui va être en excès de yang, en excès d’identité, va se transformer par moment en téméraire. Cet archétype va venir chercher à combler la blessure liée à l’emprise de la mère par une volonté incessante de prouver aux autres sa valeur et sa domination.

L’adolescent sous l’emprise du téméraire sera un solitaire, qui a en permanence quelque chose à prouver. Il n’attend personne et fonce dans l’action sans prendre la mesure de la situation. C’est une « tête brulée », un crâneur, qui fait cavalier seul. Ses stratégies sont conçues pour proclamer sa supériorité et son droit de dominer ceux qui l’entourent. Il revendique le centre de la scène comme son droit d’aînesse, et si jamais ses prétentions à un statut spécial sont contestées, il se met en colère.

Son intention première est d’impressionner les autres, qu’il cherche à intimider, en les assaillant d’une violence verbale ou physique. En fait, ces attaques visent à empêcher la reconnaissance de sa lâcheté sous-jacente et de son insécurité intérieure profonde. Paradoxalement, le héros est trop lié à la Mère avec laquelle il se sent étouffer. Il est enfermé dans un combat mortel avec le féminin, à l’extérieur comme à l’intérieur de lui, qu’il s’efforce de conquérir comme il peut. Pour ce faire, il tente d’affirmer sa masculinité ou ce qu’il en fantasme, par tous les moyens. Ici pas de place aux sentiments, à la sensibilité, tout n’est que confrontation  et dureté.

Mais le téméraire a un sentiment gonflé de sa propre importance et de ses propres capacités. Le héros commence à penser qu’il est invulnérable, que seul le rêve impossible est pour lui, qu’il peut combattre l’ennemi imbattable et gagner. Pour cela, il prend des risques inutiles, et s’il est en position de leader, il exige le même comportement de ses hommes, qui vont finir par se rebeller. Mais si le rêve est vraiment impossible, et si l’ennemi est vraiment imbattable, alors le héros est en difficulté. Le sens de l’invulnérabilité, des fantasmes et des prétentions divines, ouvrent la porte à sa propre disparition. Avec sa prise de risque et sa concurrence immature avec les autres ainsi qu’avec ses remarques impétueuses, le téméraire va finir par se saboter lui-même. Ne sachant pas évaluer la situation avec justesse, il se « tire une balle dans le pied », ce qui l’emmène à sa perte.

La chute du héros vient du fait qu’il est incapable de reconnaître ses propres limites. Ici nous retrouvons le concept de la Némésis comme avec le tyran en chaise haute ou avec le Monsieur-je-sais-tout. Un garçon dans cette ombre yang ne peut pas vraiment se rendre compte qu’il est un être mortel. Le déni de la mort, la limite ultime de la vie humaine, est sa spécialité.

En résumé, le téméraire se bat pour la promotion qu’il s’imagine devoir recevoir, pour être reconnu des autres, être reconnu comme un homme. Il veut conquérir le monde autour de lui, conquérir le féminin qui l’a chérit et dont il cherche à se défaire, mais sans avoir fait preuve d’humilité. Pour cela, il va marcher sur les personnes autour de lui dans l’insensibilité et l’arrogance, et finalement va se détruire, ridiculisé et chassé par les personnes qu’il ne considère pas.

Le lâche

L’adolescent dans l’énergie du héros qui va être en excès de yin, en vide d’identité, va se transformer par moment en lâche. Cet archétype va venir chercher à combler la blessure de la déception liée à l’envahissement de la mère, et de la non présence du père par une réticence extrême à utiliser son agressivité naturelle pour se défendre. 

Le lâche manquera de motivation pour réaliser quelque chose d’important pour la vie humaine, il aura tendance à se laisser intimider aussi bien émotionnellement qu’intellectuellement. Il s’enfuira habituellement d’une bagarre, s’excusant peut-être en affirmant qu’il est plus « viril » de s’en aller, mais il se sentira ensuite misérable malgré ses excuses. Cependant, ce n’est pas seulement dans des confrontations physiques qu’il évitera de prendre sa place, mais dans tous les conflits, qu’ils soient verbaux, mentaux ou émotionnels.

Comme il est incapable de se sentir héroïque avec lui-même, le garçon sous l’influence du lâche s’effondrera psychologiquement si quelqu’un d’autre est exigeant ou énergique avec lui. Ainsi, il acceptera aisément la pression des autres et se sentira envahi en permanence.

Par ailleurs, quand il en aura assez de se sentir comme un « paillasson », sur lequel les autres s’essuient, sa grandiosité cachée en lui éclatera. Il lancera alors un violent et pulsionnel assaut verbal ou physique sur sa victime, habituellement quelqu’un de plus faible. Comme cette action n’est pas dans son habitude, ses assauts surprendront les autres qui ne peuvent qu’être mal préparés à les recevoir.

Comment dépasser le Héros ?

Dans les sociétés anciennes, le premier rituel de passage se faisait dès les premiers intérêts sexuels, au début de la puberté. C’était l’âge de la première initiation, un passage dans lequel il fallait surmonter ses propres limites à travers la souffrance, la peur, la solitude ou la douleur. Ceci afin d’apprendre l’humilité face à la perte pour passer de la condition de garçon à celle d’homme.

L’initiation est une mort symbolique, car n’est qu’une fois la perte et ses conséquences expérimentées que l’on apprend et que l’on devient un homme, que l’on atteint la virilité. Robert Bly appelle cela la « Descente ». Elle prend trois formes distinctes : suivre la route des cendres, apprendre à trembler et passer du mode maternel au monde paternel.

La première étape est de descendre dans ses profondeurs, d’avoir le courage de partir explorer son intériorité, sa part sensible.

La deuxième étape est d’oser rencontrer notre peur la plus profonde, notre dragon intérieur, nos blessures, les voir en face et les reconnaitre pleinement. Ce n’est qu’après cela, lorsque nos rêves de grandeur et illusions héroïques ont été réduites à l’état de cendres, et que nous avons été confronté à ce qui le fait trembler que l’homme ose enfin poser un genou à terre. L’épreuve va nous faire percevoir la fragilité de notre condition, et il va devenir impossible de garder cette posture de héros.

Avec le temps rituel de l’initiation, cette « terre inconnue » paternelle, le héros/adolescent qui était jusqu’alors incapable de reconnaître sa vulnérabilité, découvre l’humilité, l’authenticité ainsi que des limites humaines. Ce n’est qu’après avoir gouté à sa propre chute que le garçon peut sortir du giron maternel et devenir un véritable homme. En reconnaissant qu’il porte en lui ce féminin,  qu’il est capable de prendre soin de lui et de ses blessures, il dépasse enfin cette conquête perpétuelle et s’apaise. Il comprends alors que la quête n’est plus extérieure mais intérieure.

Ce que le héros fait est justement de mobiliser les structures délicates de l’ego du garçon pour lui permettre de rompre avec la mère et de faire face aux tâches difficiles que la vie commence à lui assigner. Les énergies héroïques font appel au potentiel masculin du garçon, qui sera raffiné au fur et à mesure qu’il mûrit, afin d’établir son indépendance et sa compétence, lui amenant le calme intérieur, la vision claire et la compassion. Le héros jette le garçon contre les limites, contre ce qui est apparemment insoluble, il l’encourage pour qu’il puisse expérimenter ses propres capacités de réalisation, en se testant contre les forces difficiles, voire hostiles, dans le monde. Il lui permet d’établir une tête de pont contre le pouvoir accablant de l’inconscient (le féminin profond, la mère). Le héros permet au garçon de commencer à s’affirmer et de se définir comme distinct de tous les autres, de sorte qu’en fin de compte, en tant qu’être distinct, il peut revenir vers eux pleinement.

Mais quelle est la fin du héros ?

Presque universellement, dans les légendes comme dans les mythes, il meurt, se transforme en dieu et est amené au Ciel. Symboliquement, la mort du héros est la mort de l’enfance, de son ego enfantin plein d’illusions.

Le garçon meurt à l’enfant qu’il était : Face l’ennemi ou à l’épreuve qu’il rencontre, il contemple son propre côté obscur, son côté non-héroïque, et s’aperçoit que l’ennemi n’est pas à l’extérieur mais en lui-même. Il a combattu le dragon et en a été brûlé. Cela lui ouvre la porte du chemin de la sagesse qu’il devra parcourir tout au long de sa vie pour arriver à mettre le dragon à terre comme Saint Georges.

L’initiation lui montre juste la prochaine étape, qui sera de devenir un homme, capable de vivre le féminin et le masculin à l’intérieur comme à l’extérieur de lui.

À cet égard, notons un instant la nature héroïque de notre culture occidentale. On peut penser au mythe du héros solitaire, qui repart à cheval à l’horizon après son exploit, en incarnant le fantasme féminin de l’adolescente (femme immature), alors qu’une femme aura tendance à rechercher un homme mature qui reste à ses côtés pour s’impliquer dans le quotidien, dans le foyer, dans l’éducation des enfants. D’ailleurs dans les légendes médiévales, on nous dit rarement ce qui arrive une fois que le héros a tué le dragon et épousé la princesse. Nous n’entendons pas ce qui s’est passé après leur mariage, parce que le héros, en tant qu’archétype, ne sait pas quoi faire avec la princesse une fois qu’il l’a gagnée. Il ne sait pas quoi faire quand les choses reviennent à la normale.

Mais tout cela n’est qu’une étape, qui ouvre  en lui la conscience de sa quête spirituelle, car la mort symbolique du héros/adolescent signale la rencontre d’un garçon ou d’un homme avec la vraie humilité. Cette dernière se compose de deux choses : La première est de connaître ses limites, et la seconde, est d’être capable de demander et obtenir l’aide dont nous avons besoin. S’il arrive à cela, alors ce passage marque la fin de sa conscience héroïque.

Mais cette mort est aussi la renaissance à sa virilité et à la psychologie de l’homme. Le garçon revient de l’épreuve en intégrant le monde masculin adulte. Certes son chemin d’homme commence juste, les épreuves lui ont permis d’entrevoir le long chemin qui s’est ouvert devant lui, mais il pourra désormais les partager avec les siens en tant que pair, et plus tard aussi en tant que père. Voilà la réelle différence entre l’archétype du héros (l’adolescent) et celle du guerrier mature (l’homme).

Si nous accédons à l’énergie du héros de manière appropriée, nous serons poussés contre nos limites. Nous devrons nous aventurer aux frontières de ce que nous pouvons être comme des garçons, et de là, si nous sommes capables de faire la transition, nous serons préparés à incarner la virilité.

Actuellement, pour ne plus glisser dans un chaos inconscient, il me semble que nous avons d’autant plus besoin d’une grande renaissance de la juste énergie héroïque, de ce courage spirituel d’aller oser affronter ses ombres pour trouver l’humilité et la sagesse inhérent au déploiement de notre puissance. Il est nécessaire que les pères ou les anciens, ceux qui ont fait le chemin, prennent leur responsabilité afin d’amener, à travers des initiations rituelles, l’enfant à dépasser sa condition de héros pour devenir un homme véritable.