L’homme vulnérable est un privilégié. Effectivement, s’il ose dévoiler aux autres ses blessures de l’âme, il aura l’opportunité de transformer ses failles en force et cela lui permettra d’accéder à sa véritable puissance.
Les hommes que nous sommes aujourd’hui constatent avec évidence que leurs repères changent, que la posture qu’on leur a transmise depuis toujours n’est plus d’actualité. Mais chaque évolution passe obligatoirement par une période de dépressurisation, de déconstruction de l’ancien. Une phase désagréable, voire douloureuse, ouverte sur l’inconnu et les peurs, où l’inconfort règne.
Imaginez toutes ces centaines d’années, qui ont figé l’image mentale masculine. Et voilà qu’aujourd’hui, telle la belle au bois dormant, il se réveille, un peu engourdi, maladroit et aussi curieux. Le vieux modèle de papa, celui du pourvoyeur, qui ne pleurait pas, qui était dur, qui partait travailler pour assurer seul, les besoins de la famille, laissant sa femme gérer l’intérieur du foyer, et surtout qui ne devait pas montrer sa sensibilité, n’a plus de sens.
Oui, l’homme souffre de ne plus connaître sa place. Déstabilisé, il cherche le comportement adéquat en lien avec un féminin qui se transforme, s’émancipe, s’épanouit de plus en plus.
Depuis le siècle dernier, la condition des femmes change. Enfin, elles reprennent leur pouvoir personnel, leur autonomie, leur juste place, et tout s’ouvre pour elles. Au travail, dans la famille, dans leur vie intime, elles assurent, assument et vivent pleinement.
Quelle opportunité l’homme tient là dans ses mains !
L’équilibre masculin / féminin, établi socialement depuis bien trop longtemps se transforme, pour aller construire quelque chose de nouveau, bien plus harmonieux. On peut dire qu’avant l’homme était au-dessus, et la femme au-dessous. Mais de nos jours, la femme ouvre son champ des possibles en montant aux côtés de l’homme tandis que ce dernier, voit sa dominance machiste se réduire et il ne peut que redescendre aux côtés de sa compagne, en égal, plus en maître.
Les hommes perdent leurs repères, tandis que les femmes gagnent en possibilités. Chacun bénéficie d’une ouverture, pour enfin pouvoir cheminer côte à côte, main dans la main, chacun rayonnant son potentiel sans faire de l’ombre à l’autre.
L’homme doit revoir sa copie s’il veut espérer retrouver un équilibre intérieur. Il doit absolument savoir comment il fonctionne et découvrir qu’il peut enfin accéder aux modèles masculins matures qui existent en lui.
Sa souffrance actuelle, vient en partie de l’incompréhension de l’énergie du guerrier qu’il porte. Effectivement, en tant qu’homme, nous nous nous sommes fourvoyés, nous sommes restés bloqués dans l’énergie du guerrier immature, dans celle du héros, qui correspond à la fin de l’adolescence.
La compréhension des archétypes masculins est à voir comme un chemin initiatique, qui emmène l’enfant de la naissance, de la descente dans l’incarnation, avec l’énergie de l’enfant divin, jusqu’au couronnement de sa puissance, avec l’énergie du Roi.
Mais entre-temps, il existe tout un cheminement à travers les énergies des archétypes immatures (enfant divin, enfant précoce, enfant œdipien et héros) puis de celles des dynamiques matures de l’homme (le guerrier, l’amant, le magicien et le roi).
De nos jours, avec la perte des rituels initiatiques de passage à l’âge adulte, il existe une réelle confusion dans la psyché de l’homme. Cela vient du manque d’expérimentation entre l’énergie du héros qu’il vit et celle du guerrier qu’il doit atteindre.
Pendant longtemps, nous nous sommes égarés, en restant bloqués dans l’énergie du héros, un guerrier novice et inexpérimenté, qui veut dominer l’autre, conquérir. Mais un héros est solitaire, immature, inconscient et égoïste. Il ne rêve que de gloire personnelle, quitte à ce qu’elle soit posthume et n’hésite pas à emmener les autres avec lui dans son inutile sacrifice. Il ne construit rien, ni foyer, ni royaume, aucune entreprise quelconque, contrairement au guerrier qui met ses talents et qualités au service d’un roi, structurant et générateur.
N’étant plus amené à se confronter à ses peurs profondes, son côté yin, et ses limitations, au travers d’une épreuve, l’homme moderne confond l’énergie de toute puissance du héros avec celle, plus noble et surtout plus humble, du guerrier.
Il est temps de réaliser que cette défaillance, ne permet plus à l’homme de se structurer convenablement, créant même des déséquilibres dans sa psyché. Robert Bly, dans son œuvre intitulée « l’homme sauvage et l’enfant » parle ainsi de l’homme passif et de sa torpeur émotionnelle, qui, même s’il chérit une certaine forme de spiritualité, peut être totalement anesthésié sur le plan affectif. L’origine de cet engourdissement du cœur se trouve dans le fait de solliciter la protection du père et sa déception quant à cela, si ce dernier se refuse à l’accorder. Par protection, il faut entendre ici un modèle de conduite à suivre, un exemple de masculin mature pour se construire sous son aile (et qui s’incarne la plupart du temps par un groupe d’homme et leurs rituels particuliers).
Il nous faut voir cette épreuve comme un évènement qui permet d’apprendre à trembler (rencontrer ses peurs), de traverser ses cendres (perte de son importance et de ses illusions) et mais surtout de passer du monde maternel ou monde paternel, donc d’entrer dans le monde des hommes matures dans la posture droite du guerrier.
C’est seulement lorsque le héros met un genou à terre, épuisé et tremblant, qu’il se transforme en guerrier. Il reconnaît sa limite, lâche sa croyance d’invulnérabilité et commence à prier pour que la souffrance s’arrête. Alors seulement il se connecte intérieurement à la Mère divine, à plus grand que lui, peut s’ouvrir à l’humilité, et arrête de vouloir la conquérir à l’extérieur.
Le masculin peut être malveillant, tyrannique, agressif et destructeur lorsqu’il est immature, parce qu’il n’a pas encore contacté sa vulnérabilité. Observons avec pudeur la population carcérale à dominance masculine et le peu d’hommes dans les groupes de parole et de psychothérapie, et comprenons qu’ils n’ont pas encore appris à rentrer en contact avec leur intériorité dans la simplicité.
Effectivement les hommes cachent leurs souffrances et se refusent à aller explorer leurs blessures et leur sensibilité. Par peur, ils refusent l’amour paternel qu’ils pourraient offrir, la douceur, la compassion, la tendresse, ne voulant pas être associé à des qualités « féminines » qui les feraient douter de leur légitimité d’homme. Par compétition, ils veulent être forts, êtres les premiers, croyants par ignorance que la vulnérabilité équivaut à de la faiblesse. Alors que c’est l’inverse, et que la vulnérabilité assumée donne accès à la véritable puissance.
Le héros est trop lié à la Mère. Il est enfermé dans un combat mortel avec le féminin, en s’efforçant de le conquérir et d’affirmer sa masculinité en permanence.
Dans les légendes médiévales sur les héros et les demoiselles, on nous dit rarement ce qui arrive une fois que le héros a tué le dragon et épousé la princesse. Nous n’entendons pas ce qui s’est passé dans leur mariage, parce que le héros, en tant qu’archétype, ne sait pas quoi faire avec la princesse une fois qu’il l’a gagnée. Il ne sait pas quoi faire quand les choses reviennent à la normale. Il ne peut se livrer intimement, ne connait rien au sentiment, à la sensibilité et repart aussitôt dans une quête sans fin vers l’inconnu et ses dangers extérieurs. Car il a oublié que le féminin ne peut que « confirmer » un homme, jamais le valider. Un homme ne peut être reconnu et validé en tant qu’homme, que par ses pairs, que par d’autres hommes.
Pour guérir son masculin blessé, apaiser son coeur et pouvoir valider sa condition d’homme, chacun doit d’abord visiter et assumer ses blessures, et ensuite établir un contact profond avec ses pairs. Au travers d’un cercle d’homme par exemple, on trouvera écoute, soutien et réconfort auprès de ses « frères », puis on s’identifiera à leur image pour se sentir « homme » et gouter à la paix.
Avec les initiations sur les énergies archétypales, tel que Le Voyage du Héros, chacun pourra incarner pleinement son masculin, afin d’être à sa juste place et de retrouver sa puissance.
En fin de compte, l’homme vulnérable est un privilégié. En effet, ses blessures de l’âme lui donneront accès à sa puissance en se transformant en force. Reconnaître ses limites, savoir demander de l’aide, observer de quelle manière nous avons été bugné par la vie, le vivre pleinement sans honte, et savoir en parler avec authenticité, emmènera chacun à vivre et à faire rayonner le masculin sacré en lui.